La France assise sur une montagne d’or
En Guyane, la junior canadienne Columbus Gold et la major russe Nordgold essaient d’évaluer à quel point le gisement Montagne d’or porte bien son nom. Toutes deux sont suspendues à une future autorisation d’exploitation du gisement, qui pourrait en dire beaucoup sur la volonté de la France de relancer son secteur minier.
Mis à jour
22 décembre 2016
C’est, potentiellement, la plus grande mine d’or à ouvrir sur le territoire français. Situé au nord-ouest de la Guyane, en pleine forêt amazonienne, le gisement de Montagne d’or est développé par la junior canadienne Columbus Gold et le groupe à capitaux russes Nordgold, coté à Londres et contrôlé par le patron du géant russe de l’acier Severstal, Alexei Mordashov. Nordgold exploite actuellement 9 mines dans le monde. Cinq en Russie, Bissa et Taparko au Burkina Faso, Lefa en Guinée et Suzdal au Kazakhstan. Columbus Gold, junior spécialisée dans l'exploration, vient quant à elle de solder un différend avec la junior française Auplata qui a abouti à la sortie de cette dernière de son capital.
L’étude de pré-faisabilité – qui évalue la qualité du gisement – a démontré à l'été 2015 que la Montagne d’or recelait quelque 150 tonnes de ressources, dont 95 tonnes de réserves (la partie exploitable), à une teneur de 1,8 gramme par tonne. De nouvelles campagnes de forage sont en cours en vue d'une extension du gisement, dont les miniers espèrent qu’ils révèleront des réserves supplémentaires en profondeur. Le potentiel pourrait être deux fois plus important, ce qui ferait de la France un producteur mondial de premier plan.
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Préparation d'un forage sur le projet de mine Montagne d'Or en Guyane. Photo Columbus Gold
La Compagnie minière Montagne d’Or réalise actuellement l’étude de faisabilité, dont l’objectif est de mesurer la rentabilité de l’exploitation de ce gisement, une fois évalués l’ensemble des coûts logistiques, de personnel, le montant à investir dans l’usine, les taxes et charges pour l’opérateur et les assurances. Celle-ci devrait être terminée en mars 2017. Selon les premiers résultats, la future mine de Montagne d'Or pourrait produire annuellement 273 000 onces d'or pour les 10 premières années, à un coût de maintenance tout compris (CMTC) de 711 dollars par once, pour une teneur moyenne de 2 grammes d'or par tonne. Les forages en vue de l'extension des permis exclusifs de recherche (PER) accordés en juillet et l'étude de faisabilité sont financées par Nordgold pour un montant minimum de 30 millions de dollars, moyennant quoi cette dernière pourra obtenir 50,01% d'intérêt (sur un total possible de 55,01%) dans le projet de Montagne d'Or.
Un test grandeur nature pour le secteur minier français
Avec un coût de maintien tout inclus en-dessous de 800 dollars par once d’or, pour un cours international à un peu moins de 1200 dollars, "le cours de l’or peut difficilement tomber sous le prix de production", affirme Michel Jebrak, consultant pour la Compagnie minière Montagne d’Or. "Le risque principal est politique". Ce géologue, professeur en ressources naturelles à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Lorraine Mines Nancy, évalue à 50% les chances qu’a le projet d’aboutir. Le précédent IamGold, qui s’était vu attribuer un permis et avait investi plus de 80 millions de dollars avant d’être stoppé net, en 2008, par une décision du président français Nicolas Sarkozy, a marqué les esprits, et refroidi les ardeurs des investisseurs miniers en Guyane.
Très critique sur le rapport Tuot sur la réforme du code minier français, Michel Jebrak pointe le risque de découragement des investisseurs en cas de disparition du droit de suite, qui permet au détenteur d’un permis exclusif de recherche (PER) d’obtenir presque automatiquement la concession minière en cas de découverte. "Quel minier peut investir des dizaines de millions d’euros s’il n’a pas la garantie de pouvoir exploiter ce qu’il a découvert ? Si un pays se dote d’un code minier, c’est bien pour attirer les investisseurs. A un moment, il faut choisir si on veut une industrie minière !" Michel Jebrak plaide également pour une meilleure déclinaison de la loi selon le terrain. A titre d’exemple, il cite la loi pénibilité, qui fixe le seuil de température de travail à 30°C. "Mais en Guyane, il fait toujours 30 degrés ! Sans parler de l’obligation d’avoir des climatiseurs réversibles" [proposant une bien inutile fonction de chauffage].
L’épisode IamGold a toutefois eu ses bienfaits, car il a poussé la Guyane à se doter d’un schéma directeur, qui a défini en amont les zones protégées et celle où l’exploitation minière est possible. "Reste que c’est une mine en zone de forêt amazonienne, proche d’une réserve biologique intégrale. Il faudra bien sûr être très attentif à l’impact environnemental", reconnaît Michel Jebrak. Igor Klimanov, directeur du développement de Nordgold, affirme que le projet sera la première mine française à se conformer aux recommandations du livre blanc sur la mine responsable, un projet initié par l’ancien ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Pour cela, Columbus et Nordgold affirment avoir pris toutes les précautions. Elles prévoient un traitement par cyanuration en cuves, sans risque de fuite. Le seul risque réside donc dans le dimensionnement des digues, qui devront tenir compte du climat tropical de la Guyane, avec de fortes pluies.
Carottage d'exploration sur le site du gisement aurifère Montagne d'Or en Guyane. Photo Columbus Gold
Tout en évaluant la rentabilité, Columbus et Nordgold travaillent avec des consultants guyanais sur le dossier de demandes d’autorisations légales – autorisation de travaux miniers, classement Seveso 2 en raison de l’utilisation de dynamite, etc. Un travail de préparation fastidieux, qui exige une identification de la flore et de la faune, une évaluation des possibilités de réduire l’implantation, un plan de compensation de la déforestation que la minière souhaite réaliser sur les zones dévastées par les orpailleurs clandestins qui s’activent tout autour du site. "Une mine, c’est une industrie à la campagne", résume Michel Jebrak.
"Bien sûr il y aura des oppositions environnementales. Et tant mieux si elles arrivent le plus tôt possible", affirme le géologue. "Si le projet s’avère rentable, nous verrons les ajustements nécessaires dans le cadre des obligations légales et sociales." La faisabilité de ce type de projet est généralement évaluée avec une marge d’erreur de 15% qui permet encore de légers ajustements, mais les grands équilibres devraient être fixés à l’été 2017. L’étude d’évaluation des impacts environnementaux et sociaux (EIES) devrait être bouclée au premier trimestre 2017. Nordgold fait d'ailleurs valoir que 75% de la superficie du projet se situe sur des zones déjà dégradées par l'orpaillage artisanal.
L’inconnue énergétique
Un autre frein possible au projet est son alimentation électrique. Les minières appellent de leurs vœux la construction d’une centrale biomasse à Saint-Laurent du Maroni, dont la population croît de manière phénoménale, notamment en raison de l’immigration du Suriname, du Brésil et d’Haïti. EDF étudierait le projet, tout comme Suez l'avait fait à une époque. Quant à la ligne haute tension qui devrait relier la sous-préfecture guyanaise à la mine sur 120 kilomètres, Nordgold a évalué son coût à 60 millions d’euros. Elle devrait suivre la piste Paul Isnard pour ne pas provoquer de déforestation supplémentaire. La minière n’envisage pas de produire son électricité sur site à partir de combustibles fossiles : "le coût économique et environnemental serait trop lourd", et si cela devait se faire faute de centrale partagée, ce ne pourrait être qu'une solution d'attente, affirme Michel Jebrak.
Construire un écosystème de formation
Ce français d’origine, devenu canadien il y a une trentaine d’années, travaille particulièrement sur le volet formation du projet Montagne d’or. "Si l’impact environnemental doit être minimisé, il faut au contraire maximiser l’impact social. Dans une région où le taux de chômage atteint 40%, la mine devrait créer 650 à 800 emplois, dont 90% de personnel local", auxquels s’ajouteraient 2500 à 3000 emplois indirects (fournisseurs, catering, etc), selon Nordgold. Un argument de choc pour les autorités locales, qui peinent à maintenir à flots cette région éloignée de la capitale administrative Cayenne et du centre spatial de Kourou. Nordgold évalue ses besoins à 500 personnes sur la mine, 113 dans l'usine de traitement métallurgique, 46 emplois administratifs et 139 salariés dans la base-vie. En quelques années, il va falloir former 300 conducteurs d’engins, 30 à 40 techniciens environnementaux, des géologues, des opérateurs de traitement du minerai... D’après les premières évaluations, la contribution de projet à l’économie française s’élèverait à plus de 1 milliard d’euros (850 millions de salaires et taxes en Guyane, 300 millions de taxes payables en métropole) sur la durée de vie du projet, soit 13 ans.
Pour former ces personnels, les minières ont accompagné la création d’une licence de valorisation des ressources du sous-sol à l’Université de Guyane, et promouvoir les métiers de la mine dans les deux lycées professionnels de Saint-Laurent du Maroni. Le géologue leur a même apporté une collection de roches pour pouvoir démarrer la formation à la rentrée universitaire 2017. Les conducteurs, eux, seront d'abord confrontés à des simulateurs dans un centre de formation, avant d’apprendre à conduire sur de vrais engins. "Un cursus court, environ un mois, mais il faudra former 300 Guyanais", rappelle Michel Jebrak. Pour les formations plus longues, outre la licence universitaire, les minières soutiennent la création, dans les deux à trois ans, d’une Ecole technique des mines, à l'instar de ce qu'a fait le groupe français Eramet à Moanda au Gabon.
Si l’étude de faisabilité confirme la rentabilité du projet et que les différentes autorisations sont accordées par l’administration française, les travaux de construction de la route, le long de la piste Isnard, devraient démarrer début 2018, pour un début d'exploitation en 2021. "Mais si, dans quatre ans, on nous demande des études supplémentaires, on saura à quoi s’en tenir", conclut Michel Jebrak.
Pourquoi trouve-t-on tant d'or en Guyane?
"Le projet Paul Isnard est situé dans la ceinture de roches vertes du Bouclier guyanais qui s'étend de l'ouest du Venezuela vers l'est traversant la Guyane, le Suriname, la Guyane française et jusqu'au au Brésil. Les dépôts de minéraux de cette région s'apparentent à ceux des autres ceintures de roches vertes du Canada, de l'Australie et l'Afrique de l'Ouest. De nombreux gisements d'or importants et zones d'intérêts ont été identifiés dans la ceinture aurifère de la Guyane, y compris Las Cristinas, Choco, Toropoaru, Aurora, Omai, Gros Rosebel, Merian et Camp Caïman. Plusieurs autres zones, principalement en Guyane et au Suriname sont en cours d'exploration. Sur la Montagne d' Or, la minéralisation aurifère est encaissée dans un empilement volcano-sédimentaire felsique et mafique de 400 mètres de puissance qui s'étend d'est en ouest et à fort pendage vers le sud." Source: Columbus Gold
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